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Nouvelles
Vancouver, 24-27 novembre 2017
En ce qui me concerne, la vie en dessous une casquette remonte à loin. Durant de nombreuses années, j’ai affiché en tête les couleurs d’équipes sportives, tantôt par fanatisme, tantôt par attrait pour le logo. La première en date remonte à mes dix ans, une casquette des Yankees achetée en ville alors que j’étais encore Gaspésien. Il existe une photo de moi, endormi sous ma douillette de Garfield, la tête couverte des couleurs d’une équipe que je n’avais encore jamais vue jouer. Plus tard, ça a été l’époque des casquettes en velours côtelé en même temps que ma période football (et oui, j’ai joué au football, même que j’étais pas mauvais). Les Chiefs de Kansas City, puis les Dolphins de Miami m’ont suivi partout, sans relâche, jusqu’au point de non-retour. Devenues des concentrés de crasse et d’odeurs adolescentes diverses, ces pièces seraient devenues de graves insultes si l’idée m’était venue de les donner aux pauvres. Ma casquette blanche des Eskimos d’Edmonton, elle, on n’en parle même pas.
Le temps passe, et à mesure que la chevelure devient de moins en moins un option, la casquette, elle, trouve plus que jamais sa raison. Quelques jours avant le dernier gala de l’Adisq, au téléphone avec ma mère :
Pis comment tu vas t’habiller, pour le gala, mon grand?
Ben, des jeans propres, une chemise noire, un veston si j’en ai encore un qui me fait, pis une casquette, là.
Ah bon? Tu… Tu vas mettre une casquette au gala?
Ben m’man, j’ai toujours une casquette. Je vois pas pourquoi je mettrais pas une calotte parce que c’est un gala. Mes cheveux sont le fun une fois aux trois semaines, je prendrai pas c’te chance-là.
Ben, ok… Merci de me le dire à l’avance, j’vas… j’vas me faire à l’idée.
Au final, elle m’a trouvé très beau, ma mère.
Il a quelques années, j’ai amorcé un virage vers les casquettes dites de trucker, les bonnes vieilles calottes en scring pis en foam. J’en adore la légèreté, les infinies variables, le bas-prix et l’ironie latente, qu’elle soit voulue ou non. Et nul doute que leur piètre qualité contribue au fait que je ne m’en remets plus à une seule pièce, mais à un arsenal toujours grandissant qui peut combler de nombreuses fonctions et déclinaisons d’humeurs. Y’a celles de tous les jours, celles pour jobber, celles pour la scène, dépendant de ma chemise ou bien du kit de ma femme. Mais quand on part en tournée, il faut faire des choix. J’ai donc traîné avec moi ma principale du moment, une casquette noire, sobre, à l’enseigne des Équipements P. Lacroix, Deauville/Ste-Foy, puis une réserviste, favorite de l’an dernier, une verte qui perd un peu de sa fraîcheur, sur laquelle on peut lire Walt Whitman Truck-Stop, offerte par ma femme qui n’avait aucune idée de l’étendue de son cadeau, que le plus grand poète américain se trouve ainsi mêlé à la vie de routier constituait, pour moi, un sommet dans le genre. J’ai ensuite appris, par le biais de recherches sur des blogues de camionneurs, que l’endroit en question, sied au pied du Walt Whitman Bridge à Philadelphie, était l’un des endroits les plus dangereux en Amérique où un routier pouvait s’arrêter. Le vulgaire morceau de produits synthétiques couvrant ma calvitie prenait maintenant une dimension historique. On commençait à jaser.
La présente tournée nous a fait cadeau de quelques jours de congé dans la magnifique ville de Vancouver, journées que ma femme et moi avons remplies à vivre la vie urbaine, à boire du bon café, à manger de la vrai bouffe asiatique, à faire les disquaires et les friperies. C’est dans une boutique appelée Mintage, le genre d’endroit où l’on peut se procurer un vieux t-shirt de Skid Row pour 30$, que j’ai trouvé cette nouvelle venue à ma collection, une casquette noire aux couleurs de Penhale Construction, à Ardrossan, Alberta (pop. 425). Dans la multitude, mon choix s’est arrêté sur celle-ci pour son esthétisme, bien sûr, mais surtout pour le fait qu’elle m’allait parfaitement. J’ai relégué ma favorite du voyage aux bagages pour porter ma nouvelle acquisition avec fierté. Et ce dernier matin à Vancouver, alors que nous attendions l’avion qui nous mènerait à Edmonton, une femme est venue à ma rencontre pour me demander, en anglais, où j’avais bien pu trouver ma casquette. C’est que, voyez-vous, Penhale Construction était la compagnie de son père, décédé il y a plus de vingt ans. « It’s fuckin’ vintage, if you ask me », m’a répondu son mari. J’ai eu envie de la prendre dans mes bras. Elle était assise derrière moi dans l’avion, je lui ai prêté le chapeau pour qu’elle le prenne en photo. Je l’ai entendue raconter à son fils l’histoire de son grand-père qu’il n’avait jamais connu. Au moment de sortir de l’avion, le fils en question me regardait comme si j’étais quelqu’un d’important. J’emmenais avec moi une partie de son passé. On s’est souhaité une good life, et j’ai promis de prendre soin de leur patrimoine.
Touchez pas à mon chapeau, il y a plusieurs vies qui cachent ma calvitie.
-Michel-Olivier Gasse